Le Cameroun possède une longue tradition agricole : sur les 20 millions d’habitants que compte le pays, 8 millions vivent en zone rurale, principalement d’activités agricoles. J’ai eu l’occasion de m’y rendre au mois de mai dernier dans le cadre du Contrat de Développement et de Désendettement au Cameroun « C2D », avec une mission d’expertise scientifique et technique en appui au projet « Manioc » proposé par l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD). Accompagné de Marie-France Duval du CIRAD-AGAP de Montpellier, France, et d’André Mbairanodji du Programme National de Développement des Racines et Tubercules (PNDRT) de Yaoundé, j’ai pu me rendre compte du dynamisme de la filière manioc dans le pays, où 270 000 hectares de terres sont dédiés à sa production.

Manioc après “rouissage” dans l’eau

J’ai été frappé par le nombre de projets en cours autour du manioc, au point de me demander si une meilleure coordination n’était pas nécessaire. Mais ils sont la preuve de l’intérêt qui est porté au manioc. Après tout, selon la FAO, 3 900 000 tonnes de racines ont été produites en 2011 : des entreprises privées recherchent la farine et l’amidon de manioc, par exemple Nestlé pour la fabrication des cubes de bouillons Maggi, et Guinness pour l’hydrolyse enzymatique et la production de bières. Des accords de partenariats industriels ont été signés entre ces entreprises et le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (Minader), et les besoins sont évalués au total à 10 000 tonnes par an.

Un programme national d’envergure

Dans le cadre de la politique pour la réduction de la pauvreté, le gouvernement du Cameroun et le Fonds International de Développement Agricole (FIDA) ont signé le 23 juillet 2003 un accord de prêt pour le développement de la filière Racines et Tubercules à travers le Programme National de Développement des Racines et Tubercules (PNDRT) dont le budget global s’élève à près de 22 millions US$. Nous avons pu voir les acquis du projet PNDRT au cours de ces 10 dernières années.

Variété 8034

Tout d’abord, le PNDRT a mis en place une phase de diffusion de variétés améliorées IRAD/IITA dans tout le pays, notamment le clone 8034 : l’IRAD, l’Institut international de l’agriculture tropicale (IITA) et PNDRT ont travaillé conjointement avec une très forte participation des agriculteurs camerounais, pour choisir les meilleures clones, très productifs, résistants à la mosaïque et possédant les propriétés technologiques recherchées par les transformateurs et utilisateurs. Les racines de ces variétés sont principalement utilisées pour la transformation, mais certaines peuvent aussi être consommées fraîches (bouillies). Les feuilles, riches en protéines, minéraux et vitamines, sont aussi très appréciées au Cameroun et régulièrement consommées sous le nom de « Mbom kwem, Kpwem/Pkwem ».

Par ailleurs des réseaux de diffusion de semences ont été mis en place, comme le RENAMUSIM (Réseau national des multiplicateurs des semences d’igname et de boutures de manioc), constitué de 50 membres sur tout le territoire national. Le PNDRT a également mis en place plusieurs Champs-Écoles des Producteurs (CEP). Plus de 25 000 personnes, dont 53% de femmes, ont été formées sur les thèmes: gestion et organisation des groupes, gestion financière et comptabilité simplifiée, vente groupées, gestion des biens collectifs. Le PNDRT a aussi permis la production et fournitures des machines de transformation, ainsi que la formation des bénéficiaires à l’utilisation et à la maintenance des équipements. Environ 18 000 ménages ciblés localisés dans quelque 1 000 villages et représentant 108 000 personnes, dont 70% de femmes, ont bénéficié des appuis multiformes du programme.

L’enclavement et la commercialisation, des problèmes majeurs

Nous avons rencontré certaines associations de producteur-transformateur de manioc durant la

Rencontre avec une asociation de producteurs

mission. A Mbangassina, la visite de la fédération des unions de GIC (160 adhérents) a permis de voir les râpes importées du Ghana pour la fabrication du gari ainsi que les infrastructure mise à disposition par le PNDRT (aires de séchage, hangars sur la place du marché pour la commercialisation, magazins dans differents villages). Des formations à la production de tapioca, « water fufu », cossettes, et gari ont été dispensées, le produit traditionnel de cette zone étant le couscous, pour la préparation du foufou. Comme dans d’autres régions, l’enclavement de la zone et les problèmes de main d’œuvre se font sentir (les jeunes ne veulent plus travailler aux champs) et un besoin de main d’œuvre extérieure se fait de plus en plus sentir. Pendant que les femmes commercialisent principalement le manioc, les hommes se réservent le cacao, plus lucratif.

Couscous (farine fermentée) de manioc

A Biatombo, même constat. Les femmes sont fortement représentées dans les groupes de producteurs. La nouvelle variété 8034, appelé localement « sélectionnée », est bien adaptée à la zone, résistante à la mosaïque et donne un fort rendement. Les feuilles sont également bonnes pour la consommation. Les femmes mentionnent que la mosaïque n’est pas un problème majeur, contrairement à l’enclavement et aux problèmes de commercialisation qui y sont reliés. Les intermédiaires, appelés localement « bayam sellam », s’entendent pour fixer les prix les plus bas le jour du marché. Il y a collusion sur les prix et l’association n’a aucun moyen de transporter son produit vers Yaoundé ou les plus gros marchés vers le Gabon. En saison de pluies les routes ne sont plus accessibles. Le PNDRT a permis de construire un entrepôt et de renforcer les routes, mais le problème de commercialisation reste entier. La pénibilité du travail reste un obstacle majeur : chaque femme cultive entre ½ à 1 hectare de terre en manioc mais elles ne peuvent pas augmenter la surface d’exploitation en raison des longues heures passées aux champs (préparation du sol, plantation, désherbage, récolte, transformation et commercialisation).

Rencontre avec les chercheurs de l’IITA et de l’IRAD

La visite de la station de l’IITA sur le campus IRAD de Nkolbisson a permis de connaître les recherches conduites par Rachid Hanna et Holger Kirscht, depuis la conservation des ressources génétiques camerounaises jusqu’à l’appui au réseau des multiplicateurs et de l’analyse du rôle des femmes dans la culture et le post-récolte, en passant par l’étude des ravageurs du manioc. Une rencontre avec les chercheurs de l’IRAD, qui coopèrent avec l’IITA, a été l’occasion de faire le point sur le nouveau projet « C2D » et d’organiser une discussion sur les besoins en expertise extérieure et sur l’amélioration des laboratoires et infrastructures existants, en particuliers pour les aspects diversité et valorisation post-récolte. Les travaux de l’IITA au Cameroun feront l’objet d’un autre blog sur ce site.

Dominique Dufour, Leader du thème “Technologies post-récolte et filières de valorisation”. CIRAD-Qualisud/CIAT, Cali, Colombie